Sombrer Lumières

« C'est à trop voir les êtres sous leur vraie lumière qu'un jour ou l'autre nous prend l'envie de les larguer. La lucidité est un exil construit, une porte de secours, le vestiaire de l'intelligence. C'en est aussi une maladie qui nous mène à la solitude. » Léo Ferré.

 

Il avait raison Léo d'entrouvrir cette porte de secours, d'y contempler le joli ballet des lumières. Mais à trop s'y vautrer, on y reste cloitré comme un damné. La solitude, c'est cette quête perdue d'avance pour que le Moi vive. Nous serons toujours tissus, même en peau de chagrin avant de se prétendre fil de quoi que ce soit.

Me voilà psy, psychologue plus précisément, clinicien pour être tout à fait exact. La foisonnante constellation "psy" n'illumine pas en tout point. Thérapeutes de tout poil, parfois escrocs d'horizons variés contribuent à l'incompréhension générale. D'autant plus quand l'Etat faillit à sa mission de santé publique par incompétence ou à dessein. Déperdition des moyens, déliquescence institutionnelle, liste d'attente à n'en plus finir. Un peu comme à la sécurité sociale, à la différence que dans le premier cas, il n'y a même plus de lieux pour accueillir le public, les usagers. Encore un mot dégueulasse dans ce clientèlisme de masse où plus personne ne sait à quel saint se vouer, cherchant ci et là l'antidote magique à leur malaise.

Rien d'étonnant dans ces cas-là, qu'au pôle emploi, nul ne comprenne rien à rien. Encore un "service public" qui n'a pas les moyens de sa prétention. Des diffusions en boucle d'inepties qui s'intitulent tantôt "droits et devoirs du demandeur d'emploi", tantôt qui s'improvisent didacticien des démarches. Il ne reste que des machines et quelques humains au discours automatique devant la foule ahurie, vilipendant son mépris devant l'entreprise kafkaïenne. D'autres fonctionnaires davantage zélés traquent la moindre irrégularité pour gagner du temps. "Assurance chômage"? C'est-à-dire? De bien le rester ou d'en sortir? Dans les années 60, un ministre avait proposé de créer cette assurance. On lui rétorqua que le pays vivait le plein emploi. "Justement", répondit-il.

Reste à chercher de quoi s'occuper. La belle affaire! L'extase d'être enfin positionné sur le marché du travail se voit très vite effacée par d'inévitables désillusions. Ce sont toutes ces réponses semi-automatiques, un même assemblage miéleux du manque d'intérêt où il est même parfois prétendu le contraire. Toutes pourraient se résumer à celle-ci :

"Monsieur,
Nous n'avons que faire de vous,

Laconiquement,
La direction."

L'anonymat de celui qui se prend pour sa fonction, son écran, sa machine. Et puis parfois, rien, le néant, l'absence de répondant. Il n'y a personne. C'est bien cela l'absurdité, comme le disait Camus, « ... cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde ». Alors quand d'autres recherchent "désespérement". ça fait contraste dans le chassé-croisé, des missives qui s'évanouissent dans le ciel ou s'écroulent sous la mer.

La productivité de ces journées-là est bien faible, c'est certain. Il manque de grain à moudre avant même qu'il ne meurt. D'aucuns diront que l'on peut aussi céder au chant des sirènes... et pas seulement celles des pompiers qui disparaissent dans la nuit. Devenir un faire-valoir pour telle compagnie de l'horreur. Il y a ces comportementalistes, pour qui la vacuité de leur entreprise n'a d'égale que la volonté de leur toute-puissance. On supprime la richesse des manifestations psychiques, de maudits symptômes pour plus de conformité. Un dressage sadique où l'humain n'existe plus, le voilà le grand projet. On n'est pas loin de la méthode Ludovico pour Alex dans Orange mécanique ; une foule d'images que l'on asséne pour anéantir le libre arbitre, le sujet. Autiste ou criminel, rien n'impose un tel traitement.

L'habitude ou la monotonie, paradoxalement, on ne s'y fait pas, toujours les idées vagabondent...